« La
console de jeu dans un ITEP… »
***
SOMMAIRE
Un arrêt
sur l’image du quotidien
Le quotidien de l’éducateur
“Images
de l’établissement et de la population accueillie”
Présentation
du travail et démarche d’étude
“La
console de jeu vidéo en images”
La
console de jeu vidéo, contexte national
(quotidien
des petits français)
Histoire
de la console de
jeu vidéo
(dans mon
établissement)
Présentations
des observations, images d’instants
1°) “Premières observations” autour de la console de jeu dans le groupe éducatif : “images connues, images arrêtées” pour l’équipe éducative ?
2°)
Deuxième observation” autour de la console :
Mon travail de recherche dans
“l’infra-quotidien” et des découvertes au delà de “l’ordinaire” de l’objet et
de son apport...
“A chacun une image du
jeu vidéo”
La console de jeux
vidéo,
images d’échanges,
images d’aide,
images de changements...
1 / Rémi ou la socialisation, “l’entrée en relation”
médiatisée
2 / Antoine ou la valorisation par l’aide
3 / La console, objet révélateur / objet régulateur
des difficultés de Benoît
Les
enfants parlent de leurs propres images :
une
dernière forme d’observation...
“Image(s)
de cette étude
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
***
Un arrêt
sur l’image du quotidien
Le quotidien, tout le monde semble pouvoir en dire
quelque chose, puisqu’il touche communément et “simplement” tout le monde, mais
au delà d’une première image familière, ordinaire, qu’est-il réellement,
profondément, quelle “seconde image”, repensée, revisitée renvoie-t-il, quelle
en est sa représentation pour tous, pour chacun ?
Il serait d’abord une image qui revient, toujours, de
manière répétitive créant sa banalité, sa monotonie et que l’on finirait par
oublier, par ne plus voir, une image peut-être alors bien difficile à regarder,
à s’intéresser !!!
Mais au delà de cette “image arrêtée”, qu’en est-il vraiment
?
Le dictionnaire est sans appel : “le quotidien est ce qui
se fait et qui revient chaque jour”[1].
Ainsi, ce serait une notion de continuum qui apporterait une
impression de banalité, d’ennui, d’insignifiance et de monotonie...
Mais ne serait-il pas aussi monotone parce qu’il devient
répétitif, donc finalement “sans relief”...
En tous les cas, le quotidien semble aller de soi, s’imposer
à soi, de soi, en dehors de la pensée, renvoyant à la même chose, aux
habitudes, à une routine souvent pesante, à des rituels, des “mêmes gestes”,
des “mêmes paroles”, de l’identique (...) et se présente, ou plutôt ne se
présenterait alors pas (!), comme incolore, invisible, souvent impensable,
“impensé”...
Il est l’ensemble des “petits riens” qui remplissent chaque
jour (dormir, se laver, faire son lit, manger, travailler, jouer, se confronter
aux soucis quotidiens, saluer son voisin, parler du “beau temps” car il n’y a
rien d’autre à dire, lire le journal en recherchant l’évènement capable de nous
sortir du “train-train”..., vivre en fait !), formant des suites d’actes
incontournables plus ou moins logiques et rythmés, liés aux besoins de la vie,
un monde de déjà vu, de déjà connu, de très et trop familier...
Alors le quotidien, c’est l’ordinaire, “l’infra-ordinaire”
même disait Georges PEREC en opposition à l’extraordinaire, à
l’évènementiel, à quelque chose qui se remarque, qui se démarque du monde
commun et sans vague, de ces “petit faits insignifiants et délicieux qui
forment le fond même, la trame de l’existence”[2].
Mais le quotidien est-il alors inévitablement impensable,
puisque justement inévitable ?
Ne produit-il que de la “non-interrogation”, de l’anesthésie[3], un poids insoutenable par sa
banalité, insupportable pour être “volontairement conscient” ?...
Il semble pourtant évident que l’idée du quotidien n’est pas
si “simple et arrêtée”, dans une pensée qui ne serait que binaire...
La quotidien est justement paradoxale, “multi-paradoxale”
même : il est tout alors qu’il ne représenterait, dans une conscience commune,
rien !...
Il est à porté de mains et pourtant inatteignable, il est à
la fois rassurant par ses répétitions et sa routine organisée, à même de
répondre, souvent de manière tout à fait inconsciente, à de multiples fins, et
le désordre de part la disparité des différents actes et choses que l’on fait
dans la vie quotidienne...
Il se trouverait alors impensable tout en méritant, à tout
moment d’être pensé, exploré, cela même parce qu’il est justement “ce qu’il
y a de plus difficile à découvrir”[4], comme une idée de se confronter à de l’évènement
dans le vif du sujet, le quotidien (!), et parce qu’il serait un levier
essentiel pour évoquer la réalité, la vie...
Alors après cette réflexion, le quotidien se présente alors
bien comme une grande partie, certainement même la plus grande partie de la
vie.
Et une fois qu’il est un peu “approché” en pensée, des
fonctions implicites mais essentielles semblent se dessiner, ce, malgré son
“temps immense” ou “non-temps” à valeur faible :
- une
fonction de trame, de contenant qui
organiserait des repères silencieux, “instituant et sécurisant”[5], contenant et contenu de la vie...
- un espace
de temporalité, avec un rythme classique qui créerait de la sécurité mais en
revanche de la monotonie, et la rupture du rythme qui créerait de l’insécurité
mais aussi de l’extraordinaire,
- un espace
de vie, des lieux que l’on connaît, reconnaît et qui nous sont finalement
familier et sécurisant, dans le prolongement de l’hypothèse de Bruno
BETTELHEIM sur les 3 notions inséparables dans l’inconscient de l’être
humain : une sécurité physique, une maison, un bien être affectif et social,
- un espace
de lien avec des moments forts et des moments moins forts, que le quotidien
relierait pour fabriquer un tissu conjonctif,
- un espace
de répétition, de conception cyclique et
de reproduction linéaire, où la répétition pourrait parfois être liée à la
“pulsion de mort” et le changement à la “pulsion de vie”.
Le quotidien n’est donc certainement que pas “ce ou ces
petits riens”. Il est beaucoup plus ! Peut-être tout !
Ainsi Pour Michel FOUCAULT, il s’oppose à l’uniforme
et à la non-problématisation.
Pour Georges PEREC dans “les choses”[6] il est une catégorie problématique
et tout devient une question de “regard et de mots”.
Pour Francis PONGE[7], les objets communs, et à première
vue banals et insignifiants, regorgent de choses à dire. C’est en “prenant
parti des choses” du quotidien qu’il aura pu, malgré la difficulté par le langage commun,
exprimer des sentiments, ses sentiments...
Le quotidien peut donc faire parler notre vie, à condition
de s’y arrêter, de l’observer, “d’interroger ce qui semble tellement aller
de soi que nous en avons oublié l’origine”[8]...
Mais est-il toujours possible de s’y arrêter, de prendre
conscience de s’y arrêter ?
Pourquoi cela nous paraît si difficile, comme si le
quotidien avait cette force ne nous empêcher de le penser en temps réel...
Le quotidien d’éducateur
Quand je questionne les éducateurs des équipes de mon
établissement sur la représentation de la notion de quotidien dans leur
travail, leurs réponses s’avèrent bien ambivalentes (mes réponses immédiates
sont d’ailleurs, à ce moment, similaires !).
Ils évoquent tous spontanément (peut-être trop spontanément,
comme pour s’en persuader...) qu’il est la base de leurs actions éducatives.
Puis, presque en même temps, ils parlent de son poids, de
ses tâches matérielles, de ses contraintes, de sa routine, comme si le
quotidien, dans leurs représentations communes, était désigné de fait comme peu
valorisant et qu’il s’opposerait alors au travail éducatif, aux actes
éducatifs, aux choses que l’on remarque, que l’on peut pointer, elles seules,
valorisantes et dynamiques...
Mais le quotidien n’enveloppe-t-il pas tout ? Le travail
éducatif pourrait-il sortir, “s’évader” du quotidien ?
De quoi pouvons-nous avoir peur, à vouloir cliver quotidien
et travail éducatif ?
La routine serait-elle une maladie contagieuse, honteuse,
mortelle ?
N’est-ce pas un travail de distanciation, comme celui que
nous faisons quotidiennement dans les relations éducatives, qu’il nous faudrait
faire sur notre quotidien?
N’y a-t-il pas alors un lien évident, presque logique entre
quotidien et acte éducatif ?
Le quotidien dans la pratique éducative, c’est “logiquement”
le travail éducatif !
“Il s’agit, dans le travail éducatif, d’assurer le quotidien
et ses bases... - Les éducateurs sont
vraiment des gardiens du quotidien...”[9]
Le quotidien est alors bien l’espace qui rythme la vie, un
cadre inconscient (?) sécurisant et structurant, amenant chacun à se
reconnaître comme sujet en relation avec d’autres...
Le quotidien n’est pas à nier car même si ”il est ce qui
se répète - cette répétition permet justement le hasard, l’inhabituel”[10], il est ainsi un lieu de
l’ordinaire mais aussi le lieu de l’imprévu et de l’extraordinaire, un espace,
l’espace de vie.
Alors malgré la routine, l’usure qui “guète”, le poids du
quotidien, cela appelle à s’y arrêter, à aller questionner “les petites
cuillères”[11] de notre
travail...
“Images
de l’établissement
et de la
population accueillie”
Le
quotidien, c’est l’ensemble des lieux,
des
temps, des personnes et de leurs interactions...
Afin d’appréhender le plus justement possible le contexte de
mon travail autour de la console de jeu comme objet d’étude sur le quotidien,
il me semble essentiel de présenter de manière claire l’établissement et les
enfants qu’il accueille, ainsi que la place du quotidien dans l’intervention
des équipes éducatives.
Je suis éducateur dans un Institut Thérapeutique,
Educatif et Pédagogique depuis 1997 (Institut de Rééducation)
Cet établissement, qui a changé d’agrément en 1994 suite à
la rénovation des annexes XXIV devenant IR (puis ITEP en 2005) à la place d’IMP
(avec un changement de population prise en charge), accueille des enfants entre
6 et 13 ans, filles et garçons, d’intelligence normale, présentant des troubles
du comportement, de la conduite et de la personnalité (agressivité, violence,
angoisses, anxiétés, mensonges, mutisme, passages à l’acte, grandes difficultés
d’adaptation, d’attention, de concentration, diagnostiques d’hyperactivité...),
en échec scolaire grave (souvent plus de 3 années de retard, accompagnées, pour
certains, de phobies scolaires...) qui sont orientés par la Commission
Départementale de l’Éducation Spéciale.
La prise en charge des enfants se fait dans 2 unités,
l’unité “des entrants” accueillant l’ensemble des enfants orientés dans
l’établissement et l’unité “des sortants” centrée sur la consolidation des
acquis, un travail d’autonomisation, d’intégration sociale en vue d’une
orientation propre aux capacités de chaque enfant.
Ces 2 unités, accueillant chacune 13 enfants pris en charge
par 3 éducateurs et 2 instituteurs spécialisés, se composent :
- d’un pôle
éducatif, dit groupe de vie où l’équipe éducative intervient, au, et à partir
du quotidien, en groupe et en individuel, pour aider les enfants face à leurs
difficultés, difficultés bloquant, empêchant leur progression, leur
épanouissement, leurs relations sociales, leur scolarité (ce travail se fait
par l’aide à l’apprentissage de l’autonomie dans les actes de la vie
quotidienne, à la socialisation, à l’acceptation des règles et de la
frustration, aux repérages spatio-temporels, à la réassurance, ainsi que par
l’aide face à l’anxiété, la timidité, l’inattention...).
- d’un pôle
pédagogique (2 classes spécialisées par unité), qui accueille les enfants en classe
de 6 à 7, et travaillant le champ pédagogique, scolaire et comportemental dans
les apprentissages...
Ces 2 pôles sont en lien étroit et constant.
Un troisième pôle médical et paramédical (composé d’un
pédopsychiatre, une psychologue, une psychothérapeute, une infirmière, une
orthophoniste et une psychomotricienne) vient complété la prise en charge
globale de chaque enfant selon ses besoins propres ... Ce pôle intervient en
parallèle aux 2 unités de manière régulière et définie (prises en charge, soins
individualisés...).
Pour ma part, je travaille, dans l’unité des entrants
(enfants entre 6 et 10 ans), dans le groupe de vie, en phase directe avec le
quotidien des enfants, le quotidien de mon travail, mon quotidien...
J’interviens très ponctuellement dans les classes
spécialisées, mais la partie la plus importante de mon travail se fait
journalièrement auprès des enfants dans le groupe éducatif.
L’équipe éducative travaille tous les jours de la semaine,
du lundi au vendredi.
Ce groupe propose 2 types de régime de prise en charge selon
les projets individualisés et le besoin de chaque enfant accueilli : l’internat
aménagé (1 à 3 nuits par semaine) ou l’externat (pas de nuit dans la groupe).
Ces régimes de prise en charge font l’objet d’un bilan avec
l’équipe, les parents et l’enfant tous les 3 mois.
Les temps de prise en charge éducative dans le groupe se
font de 7h à 9h15 (lever, petit déjeuner, rangements, toilettes, jeux, accueil
des externes, préparation au départ en classe...), de 11h45 à 14h15 (services,
toilettes, repas, jeux, préparation au départ en classe...) et de 17h à 21h
(accompagnement aux départs des externes, soirée activités, échanges,
toilettes, services, repas, veillée, coucher...). Le mercredi, l’intervention
se fait toute l’après-midi autour d’activités spécifiques éducatives, ludiques
et créatives.
Enfin, à chaque
retour de vacances, la première journée de la semaine se passe intégralement
dans l’espace éducatif. Il s’agit d’une journée de transition et de réadaptation au rythme scolaire, au
“quotidien collectif”, avec un rappel
des règles communes de vie, un rappel individuel des projets personnalisés...
Les objectifs du groupe éducatif des “entrants” sont
l’autonomisation de l’enfant dans les actes de la vie quotidienne, l’apport
d’un cadre rassurant, contenant, sécurisant, structurant (avec un
investissement fort dans les apprentissages et l’accompagnement à l’acquisition
des repères spatio-temporels “désangoissants”), l’aide au développement psycho-relationnel
et affectif, l’aide à l’expression, la verbalisation des soucis et des
inquiétudes, et l’extériorisation des
difficultés, l’aide à la maîtrise des sentiments et des pulsions pour une
assimilation la plus proche des “conventions sociales”, enfin l’ouverture
culturelle tant que possible.
La structure de prise en charge du groupe est donc
clairement le lieu, l’espace quotidien de la vie de chaque enfant et adultes
accompagnants.
Le quotidien représente alors la base, le champ d’action
primordial de pris en charge éducative.
C’est dans, et à partir de celui-ci que va pouvoir
s’instaurer des relations, une parole, une écoute, des actes, des
interactions...
C’est dans ce temps, et uniquement ce temps, que les
éducateurs inscrivent leur aide, leur accompagnement, pour amener l’enfant à
progresser, à prendre conscience de sa personne, de reprendre confiance en lui,
de réinvestir une démarche d’apprentissage. C’est dans ce temps que se vivent
“des tranches de vie”...
Ce temps paraît ainsi essentiel.
Et pourtant, en avons-nous toujours réellement conscience ?
Pourquoi alors après cette présentation
et l’évidence de son aspect fondamental, demeure-t-il encore des pensées
empreintes de routine, de poids, de “non-valeur” sociale ?
Présentation
du travail et démarche d’étude
“La
console de jeu vidéo en images”
Après s’être installée comme la première activité ludique
des enfants entre 7 et 15 ans et envahit plus de 6 foyers sur 10 en France[12], la console de jeu vidéo,
poussée par son phénomène de société et un système commerciale très performant,
a fait son entrée dans les établissements de l’éducation spécialisée (ne
pouvant sans doute pas se déconnecter longtemps de la réalité de la population
qu’ils accueillent !), et ce, malgré une image négative, fortement péjorative,
controversée même dans le monde de la psychopédagogie très partagé sur les
effets de ces jeux sur le psychisme des enfants, venant en tous les cas quelque
peu retourner “les terreaux culturels anciens”[13], et peut-être s’ajouter comme
nouvel objet (de jeux virtuels) dans le champ du “jeu et réalités”[14].
L’établissement dans lequel je travaille a vu apparaître,
dans ses deux groupes de prise en charge éducative, sa première console de jeu
en 1996.
En avoir ou ne pas en avoir une, et pourquoi, “là aurait pu
être la question” pour les équipes en place à cette époque.
L’avoir, c’était sans doute suivre le progrès technologique
de la société s’étant imposer progressivement aux enfants (entre autres) que
l’établissement accueillait.
C’était peut-être essayer de comprendre ce phénomène,
essayer de réguler l’utilisation de la machine et ses effets négatifs, amener
l’enfant à avoir un esprit critique quant à cet objet, “rééduquer” par rapport
à ce jeu (le principe même de l’éducation spécialisée !...).
C’était peut-être simplement faire plaisir à ces enfants
“difficiles”, ces enfants “en difficulté”, ces enfants “souffrants”[15]...
Ne pas l’avoir, c’était peut-être en revanche, ne pas
vouloir entrer dans une logique commerciale, un “phénomène sociétal aliénant”.
C’était peut-être encore “attendre” de mieux comprendre les
effets de la machine et suivre quelque peu une sorte de “principe de
précaution” émanant en demi-teinte du milieu psychopédagogique.
Ne pas l’avoir, c’était ne pas avoir à s’en servir, éviter
des “conflits inutiles” et proposer d’autres jeux, plus classiques, et pensés
plus créatifs et socialisant.
Mais ne pas avoir, c’était peut-être s’éloigner d’un des
centres d’intérêt essentiels des enfants dont les équipes avaient la charge.
La liste de mes hypothèses de “l’avoir ou pas” est loin
d’être exhaustive mais tente de pointer que la démarche, peut-être anodine
d’acquérir un objet commun, mérite bien de s’y arrêter et d’en rechercher un
sens...
Néanmoins, interrogation ou pas, la console de jeu avait
fait son entrée dans les groupes éducatifs.
Venait alors la question de l’utilisation de l’objet, son
sens pour les différentes personnes qui gravitent autour de lui, sa place
remarquée (?), oubliée (?), habituelle (?), routinière (?)... dans l’habitat,
dans le quotidien, dans les relations...
La console de jeu semble tenir, depuis plusieurs années, une
place définie dans les groupes éducatifs de l’établissement, mais est-elle
peut-être trop bien (ou pas assez ?) définie ?...
En même temps, j’ai l’impression qu’aujourd’hui elle
m’échappe souvent, qu’elle m’inscrit dans son “automatisme”, que je n’y fais
plus autant attention, comme si un glissement (évoqué un peu plus loin dans cet
écrit) se faisait inexorablement, la bienveillance qui tomberait “aux
oubliettes de la routine”...
En observant d’autres éducateurs dans ce contexte précis, je
repère les mêmes choses...
Quel est le sens réel de la place de la machine pour les
enfants et pour les adultes qui encadrent le groupe de vie ?
Le temps (le quotidien) a-t-il changé les investissements
spécifiques des adultes sur la console de jeu ?
Les enfants y trouvent-ils d’autres intérêts plus personnels
?...
Par ces interrogations, il me semble alors pertinent de
réfléchir autour de l’objet et de son impact sur le travail éducatif et sur les
enfants.
Aller revisiter la console de jeu qui semble être
aujourd’hui banal et n’exister que par un cadre posé...
Quel regard porter sur l’utilisation de cette machine ?
Il me semble tout aussi important d’évoquer, à l’orée de ce
travail, une crainte ambivalente à traiter ce sujet, cet objet controversée,
encore bien peu réfléchi en terme scientifique, psychologique et pédagogique.
“L’enfance, pays emblématique de la mise à l’état de nature
se prête mal croît-on, à l’envahissement par le monde de la technologie...”[16]
Mais ce travail me semble un contexte approprié pour tout de
même m’y employer dans la mesure de mes possibilités...
Ce travail se décomposera alors en 3 parties principales :
* La console
de jeu, son histoire, son investissement, ses questions.
Aussi j’interrogerai dans un premier temps la place de la
console de jeu dans un quotidien national, afin de mieux appréhender le
phénomène de société (phénomène qui aura certainement contribué à l’entrée
de “l’objet-console” dans
l’établissement) et sa place pour les enfants, puis je présenterai l’évolution
de la console dans le groupe éducatif de son “entrée” jusqu’à ce jour...
* Une
présentation des observations succinctes faites autour de l’objet.
Je porterai un regard sur deux instants de l’année autour de
la console, ceci pouvant me permettre de comprendre le déplacement de l’objet
dans la conscience des éducateurs et son entrée progressive dans la routine...
* Puis je
détaillerai 3 situations précises qui s’étayeront d’une analyse devant amener à
une réflexion plus profonde autour des effets de l’objet dans le quotidien
(autres apports de la console que celui réfléchi par l’équipe éducative,
laissant de même penser qu’elle pourrait être moins dangereuse qu’on y croirait
dans un contexte défini...).
Ma démarche d’étude s’appuiera sur trois sources
d’informations essentielles que sont le recueil de renseignements auprès des
éducateurs en poste, l’observation participante dans le quotidien du groupe
éducatif, l’apport d’un questionnaire posé à 4 enfants (enfants représentatifs
de l’ensemble des problématiques du groupe).
La
console de jeu vidéo, contexte national
(quotidien
des petits français)
Dans le cadre de ce travail portant sur “l’objet-console de
jeu”, il me parait important de comprendre la place de celui-ci dans la société
et plus particulièrement auprès des enfants.
Cette place spécifique détermine très certainement des
positionnements, des attitudes des adultes et des enfants dans le lieu d’étude
(groupe éducatif de l’Institut de Rééducation).
En dépit de la brièveté de son histoire, le jeu vidéo est
devenu depuis une dizaine d’années un réel phénomène de société.
Cette pratique ludique a aujourd’hui conquis une place
incontestable dans le paysage culturel et économique mondial : la création,
l’industrie et la distribution de ces jeux seraient même considérées comme un
fil rouge de la mondialisation, leurs chiffres d’affaires ayant désormais
dépassé celui des salles de cinéma.
On estime que plus de 200 millions de consoles de jeu sont
en service actuellement dans le monde et leur nombre est en augmentation
constante.
Aussi la France ne diverge pas de cette réalité, on peut
aujourd’hui affirmer que plus de 70% des petits français possèdent une console
de jeu et la croissance annuelle de cette industrie est de 50% (Source “Les
jeux vidéo, idées reçues”).
Les jeux vidéo ont donc envahi notre quotidien, constituant
un divertissement grand public au même titre que les livres, le cinéma ou les
disques...
En 1996 une étude sur l’utilisation journalière des jeux
vidéo en France avait été conduite par le pédagogue Patrick LONGLET qui
avait calculé une moyenne de 50 minutes de jeu vidéo par joueur et par jour[17].
L’impact, sous toutes ses formes, des jeux vidéo, est
cependant très mal connu même si ces nouveaux loisirs soulèvent de nombreuses
questions.
Chez les jeunes, la pratique des jeux vidéo se ferait-elle
au détriment de la lecture et de toute autre forme de jeu ?
Quelles sont les conséquences des jeux vidéo sur le
développement intellectuel et affectif des enfants ?
Malheureusement en France comme ailleurs, les études, en
dehors de l’aspect économique ou statistique sur le sujet sont rares.
Les ouvrages consacrés aux jeux vidéo, se référant à une
démarche scientifique sont peu nombreux, moins d’une dizaine selon Laurent
TREMEL, sociologue, spécialiste des modes de socialisation de la jeunesse[18].
Donc le loisir préféré de plusieurs dizaines de millions de
jeunes occidentaux reste largement une terre inconnue pour les parents, les éducateurs
voulant pourtant comprendre cette machine et ses impacts, comme l’expliquent Alain
et Frédéric LE DIBERDER, spécialistes des jeux vidéo dans “L’univers des
jeux vidéo” (Éditions La Découverte - Paris 1998).
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les
enfants demandent à leurs parents de leur acheter des jeux auxquels ces adultes
ne comprennent rien, “c’est pourquoi ses activités les angoisses
souvent” explique Serge TISSERONDE, pédopsychiatre et auteur de
l’article “Jeux vidéo, la triple rupture” [19].
Malgré un bon nombre de rumeurs et autres préjugés qui se
multiplient, les adultes continuent à offrir à leurs enfants (à eux ?) ces jeux vidéo, contribuant toujours
un peu plus à leur diffusion grandissante, à leur installation à une place
importante dans notre société...
Quels parents, instituteurs, animateurs ou éducateurs n’ont
pas aujourd’hui entendu les enfants parler de ces jeux, mais aussi qui,
maintenant n’a pas jouer a moins une fois à l’un des ces jeux ?
Cette nouvelle technologie ludique créait un nouveau rapport
entre les générations.
Ce sont les jeunes générations qui sont les plus
efficientes, les enfants sont alors des experts et leur dextérité oculomanuelle
semble bien en phase avec l’évolution technique, les adultes montrant plus de
mal en général face à celle-ci.
“Le jeu est universel et l’activité de jeu facilitent la
croissance et par là même la santé” [20], mais qu’en est-il du jeu vidéo ?
Offrent-il réellement une espace potentiel de créativité qui
conduit à l’épanouissement de l’enfant ?
Riches du mirage d’un illusoire pouvoir, l’espace du jeu
vidéo est-il un possible tremplin pour
la désillusion progressive de l’enfant tout-puissant ?
Comme un environnement “suffisamment
bon”[21], ces images interactives sont-elles favorables à
l’apprivoisement de l’épreuve de réalité ?
Ces questions, ces interrogations doivent amener à une
pensée de cet “objet-jeu” qui puisse accompagner chaque éducateur dans son
quotidien et sa pratique professionnelle.
L’observation des enfants avec ces jeux spécifiques peut
être un des moyens de construire une partie de cette pensée.
Histoire
de la console de jeu vidéo
(dans l’établissement)
La première console de jeux a été achetée par l’équipe
éducative en 1996.
A ce moment, je ne travaillais pas encore dans
l’établissement, aussi pour pouvoir évoquer l’histoire de cet objet, il m’aura
fallu recueillir les souvenirs de ses débuts dans le groupe auprès des
éducateurs encore présents.
Les informations sont assez conséquentes même si je dois les
interpréter avec prudence, tant les éducateurs, par ce travail d’introjection
et de distance, semblent montrer une certaine gène à évoquer une
“sur-utilisation” rapidement installée, peut-être d’ailleurs non maîtrisée et
réellement pensée de la console de jeu dans leur groupe.
Il s’agissait donc au départ d’un achat à but ludique,
venant certainement compléter un ensemble de jeux mis à disposition des enfants
et des éducateurs, jeux ayant les fonctions de loisirs, d’occupation ou encore
de médiation éducative et relationnelle amenant à travailler, tour à tour,
imaginaire des enfants, créativité, apprentissages des règles, structurations
et régulations relationnelles, apportant aussi, qu’en besoin en était, un
support pour une aide individualisée...
De plus, cette console venait sans aucun doute répondre,
implicitement et peut-être involontairement de la part de l’équipe éducative, à
la réalité actuelle d’une société “ludico-commerciale” avide de technologie, à
une place de plus en plus grande des jeux vidéo dans le quotidien des enfants.
Ce nouveau jeu prit rapidement sa place dans l’univers du
groupe, dans son quotidien.
Cependant, cette place sembla devenir très vite centrale et
prépondérante (comme un glissement incontrôlé), remplaçant alors souvent
l’accès aux jeux classiques et aux activités manuelles et créatrices.
Cette place centrale est d’autant plus importante que
“l’objet-console” se trouve (encore aujourd’hui !) physiquement au centre du
groupe, dans la salle de jeu, pièce centrale de l’architecture de celui-ci...
Mais pourquoi ce jeu s’était-il si vite, et de façon si
invisible et portant si répétitive (voire incessante), introduit dans la vie
quotidienne du groupe, bravant une bienveillante vigilance des éducateurs quant
à la fréquence de son utilisation ?
Il semble que plusieurs explications soient à l’époque
possibles pour expliquer ce constat.
La multiplicité des problématiques spécifiques de chaque
enfant du groupe, au moment où l’établissement changeait de population (passage
d’enfants déficients mentaux à des enfants présentant des troubles du
comportement et de la personnalité, vécus comme plus difficiles à canaliser)
engendrait une réelle difficulté pour les éducateurs à accompagner
individuellement ceux-ci.
Le cadre instauré ne suffisant pas à ce moment à contenir
une angoisse commune permanente, amenait l’équipe, en recherche de stabilité, à
trouver, pas toujours consciemment peut-être, des alternatives, à même de faire
tomber ces difficultés, en occupant certains enfants par ce jeu surinvestit “à
l’extérieur”, afin de pouvoir mettre en place des temps éducatifs privilégiés
pour d’autres.
De plus, la place de plus en plus importante des jeux vidéo
dans la société industrialisée, d’autant plus grande apparemment dans les
familles socialement déficitaire cherchant à combler un vide professionnel,
scolaire ou social, et dans la vie des
enfants en général (en effet, plus de 90% des enfants du groupe possédaient une
console de jeux chez eux...) a sans aucun doute permis un mouvement incontrôlé
de surinvestissement de cette machine dans l’enceinte de l’établissement.
Enfin la facilité de préparation, d’accès, de manipulation
et compréhension de la console (et des jeux vidéo) pour les enfants, aura
certainement appuyer sa “sur-utilisation” face au poids d’un quotidien
ressentit par l’équipe comme difficile à ce moment précis.
J’ajouterai l’hypothèse autour de l’achat de ce jeu, à cette
période de changement de population, génératrice de crainte, de doute ou de
difficultés multiples (...), d’un don peut-être inconscient de l’équipe
éducative en direction des enfants, don ouvrant à l’échange, mais aussi
attendant un contre don[22], une sorte de dette, celle d’un
comportement peut-être moins difficile, ce, le temps d’adapter son action...
“Le jouet est un signe, langage, reçu et donné...”[23], un message implicite de l’équipe...
Ce don pouvait aussi être ambiguë car l’attente d’un
contre-don n’annulait pas obligatoirement le plaisir des adultes de répondre à
l’activité ludique préférée des enfants...
Néanmoins, les enfants auront-ils accepté ce “contre-don”,
la réponse des éducateurs est finalement non ! (comme l’explique Paul
FUSTIER[24], il était sans doute trop
difficile...).
Aussi, dans cette période d’utilisation importante et
répétitive de la console, la routine s’était peut-être bien installée, l’objet
avait peut-être perdu de son sens, il devenait acquis par tous.
Il ne régla pas l’attente implicite de l’équipe, les
comportements des enfants restaient bien difficiles...
Les années passèrent, l’accompagnement se stabilisa et
l’équipe repensa intégralement son projet éducatif de groupe adapté à ces
“nouveaux enfants”.
Aujourd’hui le projet s’articule autour des difficultés
communes et individuelles de chacun d’eux, sachant qu’ils ne restent en moyenne
que 2 années dans le groupe.
Les difficultés communes détectées pour ces enfants sont, un
manque considérable de repères spatio-temporels, source d’angoisse importante
amplifiant grandement leurs troubles, une indifférenciation des personnes et
des générations, de la notion d’importance et de non-importance, une “non
acceptation” des frustrations, des contraintes et des interdits, une très
faible estime de soi engendrant un sentiment déstructurant et insécurisant de
“non-place sociale”...
Les difficultés quasi-communes autour des repérages
spatio-temporels appellent à inventer des outils de structuration du temps,
permettant à chacun d’eux de pouvoir progressivement se repérer, évoquer un
passé, vivre avec compréhension et quiétude le présent, s’inscrire dans
l’avenir et se projeter sans crainte, et ainsi de se sentir un peu plus
exister, selon leurs possibilités individuelles de compréhension,
d’assimilation, de conceptualisation...
Ces différents outils mis en place dans le groupe, à partir
de la vie quotidienne, comportent des repères claires, définis, des rythmes
très réguliers, des rituels (avec l’aide de supports oraux, de panneaux et de
pictogrammes, surtout pour une grande partie d’enfants non lecteurs, cf. ANNEXE
2) dans un premier temps rassurant, puis progressivement structurant, devant
amener chaque enfant, à son rythme, à se familiariser au temps, à sa
chronologie, à intégrer une idée de continuité et de déroulement, à entrevoir
petit à petit les notions de durée, d’attente...
“L’ordre du temps vient à l’enfant de manière tout d’abord
rapproché, en partant de la structuration d’une journée. - Il va trier ce qui
est déjà passé (hier) et ce qui va arriver (après, demain...). - C’est une organisation qui va se mettre en
place et constituer l’axe principal d’élaboration des durées...”[25]
J’ai pu souvent constater que l’enfant qui arrive à un peu
mieux se repérer dans le temps social montre moins d’angoisse, il peut alors
commencer à avoir une vision un peu plus importante de sa personne, on peut
continuer à l’aider à un autre niveau.
Aussi, la console de jeu, forte de son intérêt que lui
portent les enfants, est inscrite dans un programme d’apprentissage des repères
temporels.
Son utilisation est donc clairement cadrée et balise le
temps pour les enfants.
“Les rythmes que l’enfant va adopter autour de ses activités
principales (du quotidien) vont l’amener à une idée de continuité et de
déroulement du temps. En observant une régularité dans ses activités l’enfant
commence à se repérer dans le temps, c’est le début de son adaptation sociale.”[26]
Ce cadre est représenté physiquement sur un tableau visuel à
doubles entrées où y sont inscrits les jours, les durées égales de jeu de
console et les noms des enfants (cf. ANNEXE 3)
Chaque enfant visualise son temps défini dans la semaine (2
fois une demi-heure), ceci devant progressivement lui permettre de se repérer
dans le temps social hebdomadaire.
Ce cadre montre aussi qu’aucun enfant ne joue seul, il est
toujours accompagné d’un autre enfant...
Enfin ce cadre permet d’affirmer symboliquement que chacun a
une, sa place.
Aujourd’hui, le constat en cours d’année est que ce
programme porte relativement bien ses fruits...
Néanmoins, après avoir présenter un constat positif quant au
travail spécifique de repérage temporel par la console, je m’interroge sur le
poids du quotidien dans l’investissement des adultes, mais aussi des enfants
sur la console, ainsi que d’autres effets de la pratique des jeux vidéo dans le
groupe, non remarqués et observés jusqu’à ce jour.
La console de jeu ne peut être qu’un outil
pédagogique !
C’est aussi un jeu...
Ou se trouve alors
la dimension du jeu et ses bénéfices pour les
enfants ?
Aussi, je me propose, sans jugement de valeur quel qu’il
soit, d’aller plus loin dans mon
questionnement de l’objet dans le quotidien, convaincu d’y trouver autre chose.
Présentations des observations,
images d’instants
1°) “Premières observations” autour de la console de jeu
dans le groupe éducatif :
“images connues, images arrêtées” pour l’équipe éducative ?
Comme cela a pu être expliqué dans la partie précédente, la
console de jeu occupe dans le groupe une place temporaire clairement définie et
réfléchie par l’équipe éducative.
Ainsi, son utilisation ne peut se faire qu’entre 13h15 et
13h45 et entre 17h15 et 18h45 (par tranche de 30 minutes), ceci dans une
organisation de tours équitables pour chacun des enfants du groupe.
Il est important d’ajouter que les enfants ne sont pas obliger
de jouer à la console, s’il n’en ont pas le souhait lors de leur tour défini.
Il me semble tout aussi important, à ce moment de l’avancer
de ce travail, d’indiquer que tout jeu vidéo violent (batailles, bagarres,
morts...) est écarté. Seuls des jeux, type aventures, simulations, parcours
(...) sont utilisés. Un souci éducatif est porté autour de l’impact d’images
violentes...
* “Premiers instants de vie quotidienne” autour de la
console de
jeu :
En septembre 2002, 6 nouveaux enfants sont arrivés et ont
complété le groupe de vie.
Ils sont jeunes, de 6 à 9 ans et présentent tous,
d’importants troubles du comportement et de la personnalité, un manque
considérable de repères spatio-temporels et de grandes difficultés
d’apprentissage...
Conformément à l’hypothèse que j’avais émis au départ, ils
possèdent tous une console de jeux dans leurs familles, parfois même dans leurs
chambres (!).
Leur demande de console, quand ils ne l’ont pas allumer sans
autorisation est, à cette période, immédiate, continue, à n’importe quel
moment, de n’importe quelle façon : avec séduction, politesse, agressivité,
violence, sans se soucier des autres, dans une demande de jouissance
immédiate...
a/ Après le repas de midi, Paul ne tient plus en place...
Ce temps paraît avoir été bien long pour lui qui n’est pas
encore habitué à passer un moment aussi grand, en compagnie d’autres enfants,
dans un cadre défini mais encore certainement très frustrant pour lui.
Sans retenue, il exprime clairement l’envie de jouer à la
console de jeux de suite, sans se soucier du cadre.
Une éducatrice lui répond :
- Paul, tu ne peux pas jouer maintenant, car ce n’est pas
ton tour. Tu vois, chaque enfant a son tour de console, ce qui permet à tout le
monde de pouvoir jouer sans qu’il y ait de dispute.
Regarde sur le tableau de la console, je vais te montrer...
- Mais moi, je veux jouer tout de suite.
- Non, tu ne peux pas, mais si tu veux, on peut jouer à
autre chose ensemble, avec d’autres enfants...
- Non, je veux la console...
Paul s’énervera, puis entrera dans une crise, semblant ne
pas comprendre le cadre et accepter une frustration trop compliquée à cet
instant.
Ces crises se renouvelleront très
souvent pendant plusieurs mois...
Paul est un petit garçon de 7
ans, qui est arrivé cette année dans
l’unité.
C’est un enfant sans limite qui
montre de grandes difficultés à s'intégrer dans le groupe.
Il n’arrive pas réellement à trouver
sa place n'acceptant pas de se soumettre aux règles, refusant les consignes...
Il est très éclaté, impulsif, répondant
aux adultes, se trouvant très rapidement hors des limites.
Mais surtout, Paul, comme un grand
nombre d’enfants nouvellement accueillis, n’est pas du tout repéré dans le
temps, ce qui amplifie fortement son angoisse quasi-permanente, ceci pouvant expliquer,
en partie, son agressivité et sa
personnalité sans limite.
Le cadre de la console semblerait
alors grandement se justifier pour ce type d’enfant : apprendre à se repérer
dans le temps (!), pour accéder à une place, pour diminuer l’angoisse...
b/ En ce début d’année scolaire, Liliane montre une
impatience envahissante à vouloir jouer à la console de jeu. Ses difficultés
jumelées à se repérer dans le temps social et sa peur de perdre sa place, la
rendant très inquiète, semblent l’amener à répéter une demande, en quête de
réassurance :
Lundi 13h 15 c’est quand que je joue à la console ?
Lundi 17 h, c’est quand mon tour de console ?
Mardi 13h15, c’est quand que je pourrais jouer à la console
?
Mardi 17h, pourquoi, ce n’est pas mon tour de jouer aux jeux
vidéo ?...
Les éducateurs tentent de lui faire comprendre le tableau
des tours, mais Liliane n’est pas encore rassurer. Il lui faudra plusieurs mois
pour commencer à trouver une quiétude touchant réellement la question de sa
place. Elle n’est pas repérée dans le temps et l’espace.
Liliane est une fillette de 9 ans,
arrivée cette année.
Elle se montre très anxieuse au
quotidien, appréhendant fortement l’erreur, le moindre changement.
Son comportement témoigne d’une
forte rigidité de fonctionnement et de pensée, comme pour se défendre de son
anxiété omniprésente et son manque de balisage temporel.
Les difficultés de repérages
spatio-temporels de Liliane (comme pour Paul et bon nombre d’enfants du groupe)
empêchant de manière conséquente ses autres apprentissages, mais aussi sa
quiétude au quotidien, peuvent amener, encore une fois, l’équipe éducative à
démontrer l’intérêt la mise en place du support “pédago-éducatif” dans
l’utilisation de la console.
“Des instants plus tard dans l’année” :
Nous sommes en avril 2003, beaucoup d’enfants ont progressé
dans leur repérages spatio-temporels et pour certains, une grande partie de
leur angoisse s’est ainsi atténuée.
Ils sont beaucoup moins dans une attente immédiate.
Les crises, les caprices de certains enfants ont quasiment
disparu.
Le support temporel a ainsi, semble-t-il, porté les résultas
attendus par l’équipe.
Mais, si en début d’année, l’investissement éducatif se
montre au maximum de sa vigilance vis à vis des projets et du cadre de la console
de jeu, il s’avère qu’en seconde partie d’année, la routine s’installe
“inexorablement” (est-ce le terme qui convient le mieux ?).
La vigilance semble alors s’estomper dans les méandres d’un
quotidien répétitif et connu.
Les habitudes prennent le pas sur le sens et la réflexion,
ce, d’autant plus que les éducateurs continuent à observer des progrès
correspondant au projet (unique ?!) de balisage temporel...
Ainsi, dans ce contexte circulaire, on a tendance à
ne plus se poser de nouvelles questions, le projet fonctionne, “Point”.
Le cadre très précis n’aurait-il pas, dans ce cas,
effet de défense contre la crainte de l’équipe vis à vis du “jeu vidéo” sur le
psychisme de l’enfant ?
Ne serait-il pas un prétexte pour laisser jouer les
enfants ?
La console deviendra alors, pour cette année encore, un
objet familier et, petit à petit, routinier, évoluant au fil des mois (jusqu’à
la rentrée prochaine !) dans un désinvestissement progressif et involontaire
par les adultes de tout autre fonction...
Néanmoins, je remarquerai avec surprise, par une observation
plus fine, que le cadre aura apporté plus que l’effet attendu, faisant office
de pare-excitation ou fonction de régulateur de pulsions...
Mais aussi, je découvrirai peu à peu que “l’objet-console”,
que le groupe possède, mais qui, paradoxalement peut faire peur à l’équipe
éducative, se révèlera être le lieu de rencontres, de socialisation, de
valorisation narcissique, de rééducation, et ce, à l’insu de tous...
Il aura repris, au delà de la pensée des adultes une
dimension de jeu avec ses bénéfices pour l’enfant en construction...
2°) Deuxième observation” autour de la console :
Mon travail de recherche dans “l’infra-quotidien” et des
découvertes au delà de “l’ordinaire” de l’objet et de son apport...
“A
chacun une image du jeu vidéo”
La
console de jeux vidéo, images d’échanges, images d’aide, images de
changements...
A la suite de mes observations autour de la console
de jeu dans le quotidien, autour de l’acte de jouer des enfants et des
interactions qu’induit cet acte, je viens donc présenter 3 situations qui
m’auront, chacune à leur niveau, dévoiler une nouvelle dimension du jeu vidéo
dans le groupe éducatif dans lequel j’interviens.
1 / Rémi ou la socialisation, “l’entrée en relation”
médiatisée
Rémi est un petit garçon de 9 ans qui est arrivé dans le
groupe il y a 1 an.
A son arrivée, c’était un enfant en grandes difficultés
relationnelles, renfermé, peu communicatif, souvent solitaire.
Il montrait une inhibition importante dans le grand groupe,
une difficulté à trouver sa place, à exister socialement...
Aussi, à des moments collectifs comme les repas, les jeux et
les échanges communs, il se fermait sur lui-même, se coupant souvent de la
réalité comme pour se défendre d’une trop grande angoisse.
Il communiquait ainsi très peu avec les autres enfants et
les adultes.
A ses moments libres, s’il n’était pas sollicité, il se
trouvait souvent seul, à dessiner, à jouer aux voitures miniatures ou aux jeux
de construction, à demander sans cesse la console de jeu, en évitant de sortir
à l’extérieur...
Ses repérages temporels étaient faibles, mais Rémi avait
rapidement porté de l’intérêt pour les pictogrammes de repérages mis en place
dans le groupe l’ayant progressivement, puis rapidement aider à se situer dans
le temps.
La console de jeu était pour lui un réel moment privilégié.
Il montrait une joie intense quand arrivait son tour...
Comme pour les autres enfants, il ne jouait jamais seul.
L’équipe avait, sans nul doute, bien compris le risque
d’enfermement et de “confusion virtuel/réel”
du jeu vidéo en situation solitaire, ceci étant d’autant plus important
pour un enfant comme le petit Rémi et sa tendance ponctuelle à se couper des
autres et de la réalité...
Si pendant plusieurs mois après son arrivée, Rémi avait eu
beaucoup de mal a accepter le cadre mis en place autour de l’utilisation de la
console, il l’avait, par la suite, progressivement compris et accepté, et avait
d’ailleurs relativement bien intégré les deux objectifs principaux des
éducateurs : accepter pour chacun ait un tour sur un temps défini, ceci afin de
reconnaître chacun une place et celle de l’Autre, mais surtout le travail
d’apprentissage du temps par le biais du balisage de l’utilisation de la
console.
Aujourd’hui, mon observation de Rémi dans le jeu de
console, est autre, complémentaire, peut-être plus important, je ne l’avais pas
encore vu...
Lors de ces temps, Rémi s’entoure de camarades, il
demande aussi systématiquement la présence d’un adulte.
Quel est le sens de cette attitude ?
Si au départ du jeu il est concentré dans son “aventure
virtuelle”, Rémi communique rapidement
avec les autres enfants, avec l’adulte.
Il parle du jeu, puis rapidement se raconte, évoquant ses
soucis, des moments agréables, sa relation avec sa mère, ses difficultés avec
son père, ses envies...
Ce temps privilégié devient un temps, son temps, un espace
de communication comme si le jeu était utilisé comme un médiateur, un
conducteur de sa parole pour éviter la voie (sa voix ?) directe.
“Le jeu va fournir à l’enfant un cadre privilégié pour la
rencontre avec ses pairs et permettre le développement de ces relations
sociales”[27].
Aussi, dans cette situation, la console reprendrait toute sa
dimension de jeu !
L’image qui aurait pu enfermer Rémi le révèle...
Cette entrée dans la communication, dans la socialisation va
plus loin...
Depuis plusieurs mois, Rémi s’affirme en groupe.
Il évoque ses jeux à d’autres moments, en prise directe avec
les autres enfants, les adultes.
Il s’agit souvent des moments de repas où la parole de
chacun est écoutée, partagée.
Pendant longtemps Rémi ne disait rien et fuyaient même
l’échange à ces moments là.
Il lui était impossible d’exprimer quelque chose de lui.
Aujourd’hui donc, ce travail d’observation et d’étude
m’amène progressivement à découvrir que Rémi utilise sa passion du jeu pour
entrer en relation.
Ainsi, à table ou lors d’un autre moment ludique, Il
commence à évoquer les jeux, échange autour de l’aventure, des scores, puis
peut se mettre à parler d’autres choses, de sa vie, de lui :
Rémi à un copain pendant un repas : “Tu sais, j’ai joué à Sonic™, je suis arrivé au troisième rang...
- Ah oui, tu as fait comment pour récupérer toutes les
bagues avant la fin de la musique...
Et bien, il a fallu que j’aille très vite et puis, je suis
passé par l’entrée du deuxième monde...
- Bon, ben il faudra que tu me montres...
D’accord”,
Puis la discussion engagée, Rémi peut se permettre de parler
de tout autre chose :
Rémi à une éducatrice : “Tu sais, hier je suis allé au
cinéma avec ma mère et mon cousin.
- Ah oui, et qu’as tu vu Rémi ?...
- J’ai vu ..........
Et ton cousin, qui est-ce dans ta famille ?....”
Et la discussion continue... Rémi s’engage avec quiétude
dans l’espace relationnel avec les autres, avec l’adulte...
Pendant que d’autres enfants jouent à la console, il n’est
pas rare de voire apparaître Rémi, prêt à discuter avec les joueurs, ou avec
d’autres camarades...
“Ah oui, j’y ai joué l’autre jour, aller vas y... Tu pourras
me donner le code de Tintin au Tibet© pour
passer directement sur la montagne ?...
Puis à l’éducateur, “tu pourras jouer avec moi la prochaine
fois ?
- Oui si ton copain de console ne veut pas y jouer, c’est
d’accord...
Mais c’est quand la prochaine fois que tu es en stage ?...”
(passage du sujet de la console à une autre demande !)...
“Même si le jeu vidéo peut être solitaire, il développe
toute une socialisation autour de son activité - Très vite il (NDLR : l’enfant)
doit résoudre des problèmes liés au jeu qu’il lui faut discuter avec les
copains... - Il doit questionner, expliquer, échanger. Cette dimension de
socialisation est
essentielle même si elle passe souvent inaperçue aux yeux des parents.
D’ailleurs, les enfants qui jouent aux jeux vidéo ont une meilleure
socialisation que ceux qui préfèrent les livres.”[28]
Ce lieu, celui de la console, mais aussi celui d’une parole
de Rémi, paraît lui être sécurisant, mais aussi motivant pour s’engager...
La présence des autres enfants pendant le jeu se montre
alors essentielle à sa demande d’entrer en relation.
Elle fait sans doute tiers face au risque de la virtualité,
mais elle est surtout, pour le petit Rémi, objet de rencontre dans sa quête de
socialisation...
A travers les temps de console de jeu, Rémi a pu découvrir
que sa parole était écoutée, elle n’était pas dangereuse.
Aujourd’hui, je m’aperçois que Rémi a pu transposer cette
expérience à d’autres moments.
En effet, il joue beaucoup plus avec les autres enfants aux
jeux de société, où les échanges avec l’Autre se font plus directement, il accepte
aussi les jeux à l’extérieur, la confrontation, l’acceptation de ne pas
toujours gagner, les jeux de petit garçon.
Ces jeux, peut-être plus créatifs (?), ouvrent pour Rémi un chemin vers une progression dans
le développement de sa personnalité...
Mais aussi, à travers son accès à de nouveaux jeux, je peux
à présent penser que Rémi a grandement avancer dans l’acquisition de la
socialisation : “le jeu de règles est l’activité ludique de l’être
socialisé”[29].
L’observation de son acceptation de confrontation avec
l’Autre s’avère aussi importante et marque une évolution de Rémi. En effet : “dans
les relations sociales qu’établit peu à peu l’enfant, et dans le processus de
construction de son identité, vient souvent un temps où il est important pour
l’enfant de se mesurer à l’Autre...”[30]
Par le biais de la console de jeu, Rémi s’est senti
progressivement reconnu par ses pairs... Ses relations sociales se sont peu à
peu développées...
“Jouer conduit à établir des relations de groupe - il
peut être une forme de communication...”[31]
Cette situation observée, puis analysée me conduit à
entrevoir la console de jeu au delà de la place que l’équipe éducative lui
avait donné.
Le jeu vidéo est réhabilité dans sa place de réel jeu
apportant pour le petit Rémi une ouverture à la socialisation, par
l’expérimentation d’échanges...
“Le jeu a d’autant plus d’intérêt s’il est au centre
d’un échange...”[32]
2 / Antoine ou la valorisation par l’aide
Antoine est un jeune garçon de dix ans.
Il est, cette année, l’aîné du groupe.
Il montre une instabilité importante avec de nombreux tics
qui l’handicapent beaucoup dans ses relations.
Antoine paraît souvent anxieux, posant régulièrement de
nombreuses questions pour se rassurer.
Il ne montre pas de problème d’agressivité, ni de
transgression du cadre, il est même souvent respectueux des règles et envieux
d’être reconnu dans cette position.
Antoine semble avoir très peur du regard des autres autour de
lui et paradoxalement recherche l’Autre...
Il est en quête permanente d’affection, de soutien, de
valorisation narcissique et de reconnaissance, témoignant d’importantes
carences affectives, d’un besoin de combler un vide relationnel.
Antoine se dévalorise beaucoup...
Sa souffrance psychique et parfois débordante et
touchante...
A son arrivée Antoine montrait très peu d’investissement de
son corps, de son image, il était souvent débrayé, pas peigné, pas lavé (dans
un déni de sa personne?).
Dans sa relation avec les autres enfants, Antoine est
agréable, il joue avec tout le monde, recherchant et montrant le besoin de se
faire accepter par les autres enfants...
Antoine n’est pas réellement un passionné de console, mais
il connaît bien les jeux et apprécie tout de même ce temps avec d’autres
copains.
Lors de mes observations sur différents temps de jeu vidéo,
je me suis aperçu que Antoine paraissait souvent épanoui, calme, l’air joyeux,
en lien fort avec les autres enfants présents.
Ses tics qui le gênent tant dans son quotidien avaient
tendance à s’estomper, laissant place à un visage heureux...
Pourquoi ce ressenti d’épanouissement de Antoine à
ces moments, ressenti tellement perceptible à cet instant d’observation, alors
que je ne l’avais pas vu jusqu’à maintenant ?
“Tout jeu est médiateur de plaisir et apporte avec lui une
satisfaction permettant d’exprimer son désir à d’autres dans des jeux
partagés...”[33]
Antoine semble prendre du plaisir à jouer aux jeux vidéo,
ceci est d’autant plus manifeste quand il y a beaucoup d’enfants et d’adultes
autour de lui.
Il sait bien jouer aux différents jeux, connaît des “codes
secrets”, des “combines” pour avancer tranquillement dans les jeux
d’aventure... Cette connaissance, sa dextérité dans le jeu sans s’enfermer dans
l’image, tout en échangeant avec ses camarades ou avec un éducateur, lui
permettent de toute évidence, de créer et maintenir du lien autour de lui, mais
aussi, sans que cela ne soit toujours volontaire, de trouver de la valorisation
par son entourage, valorisation qu’il pense ne pas avoir à d’autres moments de
sa vie et qu’il semble retourner contre lui par le non-investissement de sa
personne et de son image (par exemple)....
Mais Antoine montre aussi cette image valorisante à d’autres
moments de jeu de console. Il ne s’agit pas toujours des temps où il joue
lui-même, mais où il est présent aux côtés des joueurs avec d’autres enfants.
A ces moments-là, Antoine semble accéder simplement,
sereinement à sa place d’aîné du groupe, difficile à prendre à d’autres
instants et dans d’autres lieux !
Il est là, présent, soutenant, valorisant l’Autre, apportant
sa contribution de “grand” et aidant les joueurs dans leurs aventures vidéo.
“Aller Sabi, tu peux y arriver... Tu peux passer par le
haut... Tu veux que je t’aide à passer... Oui ! c’est bien Caroline, tu vas
gagner !... Oh tu sais, quand c’était mon tour je n’y suis pas arrivé non plus
!...”.
Antoine, à ce moment trouve une place sécurisante pour
l’Autre, mais aussi pour lui.
Il est pour les autres enfants, une référence, à un modèle.
Il n’est pas rare que les plus jeunes l’appellent pour un
conseil, une aide, une médiation...
Cette situation semble apporter à Antoine la valorisation
dont il a, lui-même, grandement besoin dans sa vie jalonnée de difficultés, et
qu’il cherche sûrement inconsciemment...
Il en ressort souvent joyeux d’avoir pu aider un camarade et
vient régulièrement le montrer à l’adulte : “tu as vu, j’ai idée Adrien a
passer le 2e niveau de Dolphin™...”,
attendant impatiemment une nouvelle valorisation de celui-ci.
A ces moments de présence et de soutien à travers le jeu de
l’Autre, Antoine ne le sait peut-être pas, mais il se trouve réellement dans
une fonction de tiers face à l’image, d’accompagnement face à la compréhension
du monde virtuel pour les plus jeunes (mais aussi pour lui).
“L’appréhension de l’image est plus importante s’il y a un
Autre figurant dans le réel - la présence de l’Autre a une fonction symbolique”[34].
Cette revalorisation narcissique, échappant aux projets
éducatifs des adultes, Antoine la vie aujourd’hui ailleurs... Il semble avoir
réussi à généraliser sa place de “grand” à tout moment du quotidien du groupe.
Lors d’autres jeux, à l’extérieur, il peut donner un cadre,
pour des jeux de société, en expliquer les règles, aider les plus jeunes,
participer à la construction de légos© tout en respectant le choix de l’Autre.
Mais aussi, par cette expérience de l’aide donnée, il
accepte aujourd’hui très bien l’aide de l’Autre, de l’adulte, aide qu’il
refusait à son arrivée dans le groupe.
Il est réellement devenu un modèle pour les autres enfants
qui, pour un grand nombre, prennent souvent exemple sur lui...
Cette situation apportant satisfaction et reconnaissance
entraîne profondément Antoine à montrer son désir de grandir, de progresser, de
prendre soin de lui, de sa personne, de sa vie d’enfant grandissant...
Dans ce contexte, la console de jeu est probablement pour
lui, pour moi, un révélateur de sa personne, de son image, de ses capacités
relationnelles, un objet support de reconnaissance et de lien pour Antoine...
Le jeu vidéo aura une nouvelle fois repris sa fonction
première de jeu, le jeu comme possible conducteur de la “quête de soi”,
le jeu comme “élément structurant”, le jeu comme “expérience de lien”
[35].
3 / La console, objet révélateur / objet régulateur
des difficultés de Benoît
Benoît est un petit garçon de 6 ans.
Il a été accueilli cette année dans le groupe.
Avant d’arriver dans l’ITEP, Benoît avait été déscolarisé
pendant 6 mois, du fait d’une instabilité trop importante mettant
l’établissement scolaire dans l’incapacité de pouvoir le contenir.
Il s’était alors rapidement réfugié, chez lui, devant la
télévision et dans les jeux vidéo, y passant une très grande partie de ces
journées...
Ses parents rencontrés plusieurs fois cette année évoquent
leur inquiétude par rapport à cet état de fait...
A son arrivée, Benoît était un enfant très agité, instable,
sans limite, n’acceptant aucune règle, refusant la moindre contrainte.
Il témoignait d’importantes difficultés relationnelles et
sociales qui l’amenaient souvent au rejet ou au conflit avec les autres
enfants.
Il ne semblait pas pouvoir symboliser ce qu’il entendait, ce
qu’il voyait...
Il se trouvait alors dans l’incapacité d’anticiper les
choses, d’en construire des expériences lui permettant de se structurer,
répétant comportements dangereux, parfois violents, et relations inadaptées ou
agressives, dans l’impossibilité de comprendre le sens d’une remarque, d’une réprimande
ou d’une aide...
Il montrait en somme une personnalité très déstructurée et
souffrante...
Benoît ne pouvait pas, ne savait pas, jouer avec les autres
enfants du groupe.
Il n’avait pas encore accès à la compréhension, à la
symbolique des règles de jeu, imposées, ou mises en place par les enfants
eux-mêmes lors de leurs jeux imaginaires...
Benoît était dans
l’immédiateté, la toute-puissance, l’impossibilité d’être dans une relation
avec l’Autre, sans l’angoisse d’être anéanti.
De ce fait, il semblait être dans un combat perpétuel pour
“sauver” sa place, dans un réel sentiment de “vie ou de mort”.
Toute demande était vécue comme agressive, destructrice.
Il jouait très peu, ou alors souvent seul dans sa chambre ou
dans la salle de jeux... Ses jeux ne duraient jamais très longtemps, il avait
beaucoup de mal à se poser dans une activité, mais aussi, il allait souvent
détruire les jeux des autres enfants, ce qui engendrait rejet et conflits avec
eux...
En ce qui concerne la console de jeu, il ne pouvait pas
comprendre qu’il ne puisse pas y jouer quand il le voulait, en fait, tout le
temps !
Pour cela, il fit de nombreuses crises, de nombreux
caprices, pleura beaucoup...
Benoît était-il dépressif ? “L’absence de jeu et de longs
moments passés face à un écran (télévision ou ordinateur...) peuvent faire
penser à une possible dépression”[36].
L’équipe éducative dut prendre de longs moments avec lui,
individuellement, puis progressivement avec le reste du groupe pour
l’accompagner dans cette vie en collectivité, en relation, en partage des
tâches, des paroles, des jeux...
Benoît passa par de nombreuses phases difficiles,
d’opposition, de crises...
Puis, progressivement Benoît, accompagné par les adultes,
entraîné par ce qu’il avait pu observer des autres enfants, commença à accepter
progressivement certaines règles, certaines contraintes, sa place au sein du
groupe...
L'équipe éducative centra son travail d'accompagnement de
Benoît sur la mise en place d'un cadre
clair ayant pour but de lui permettre, sans problème de distance et d'enjeu, de
s'inscrire dans une réalité de vie collective lui laissant une place reconnue, tout en lui faisant
progressivement accepter les obligations et les contraintes...
“Il n’est pas possible pour l’enfant d’aller du principe de
plaisir au principe de réalité hors de la présence d’une mère suffisamment
bonne - la mère (qui n’est pas forcément la propre mère de l’enfant)
suffisamment bonne est celle qui s’adapte aux besoins de l’enfant - cette
adaptation diminue quand l’enfant peut tolérer les résultats de la
frustration...”
Ainsi la place des éducateurs comme “mère suffisamment
bonne” (ni trop bonne, ni trop mauvaise) put inspirer à Benoît la nécessaire
frustration pour son développement[37].
“Le quotidien est l’outil de base qui permet de transmettre
les limites... - il est le lien qui permet à chaque sujet de confronter son
désir à la loi, loi du vivre ensemble...”[38]
Je me mis à observer encore plus distinctement Benoît, dans
ses jeux de console, à partir du moment où il accéda petit à petit, même si
cela était encore souvent compliqué, au cadre d’utilisation.
Avant cette étape, ses jeux de console étaient souvent
impossible, ou devaient prématurément s’arrêter, tant il était dans
l’incapacité de partager ses jeux, enfermé, excité ou instable, semblant
revivre des moments antérieurs, ceux de sa période de déscolarisation, non loin
d’un comportement d’addiction au virtuel, ou alors, à d’autres moments, d’hypnotisme
à l’image et au jeu, de replis sur soi et d’agressivité envers l’Autre.
Ce regard régulier porté, pendant une large période,
sur les temps de jeux de console de Benoît, m’ont, peu à peu, amener à repérer,
tour à tour, les risques de la console sur sa personnalité, ses difficultés
existantes, mais aussi sa progression individuelle et sociale au travers, et
par le biais de ce jeu utilisé différemment pour lui)...
Ce travail m’aura aussi permis de visualiser “l’incidence”
de choix pris par l’équipe éducative, pas toujours pensés dans leur
intégralité, mais qui auront pu, souvent et à son issu, se révéler judicieux et
positifs pour ce petit garçon.
Après donc l’acceptation progressive au cadre d’utilisation
de la console du groupe, les temps de jeux vidéo de Benoît pouvaient durer jusqu’à la fin de son tour...
Ainsi je pus souvent voir, à ce moment, un petit garçon gai,
semblant prendre du plaisir, le “plaisir du jeu”[39].
Cependant, durant encore de nombreux mois, Benoît eut du mal
à partager son jeu avec un Autre...
Ce n’est que très progressivement qu’il accepta de jouer
avec un enfant, au moment je crois, où il put se rendre compte de bénéfices,
certainement d’un plaisir, de jouer à deux...
Ce jeu à deux avait été pensé par les éducateurs pour éviter
le repli sur soi.
Il prenait à mes yeux, dans mon constat, une autre
dimension, “impensée” jusqu’alors, celle de la socialisation, de l’entrée en
relation avec l’Autre : “à deux, on est plus seul - à deux, il y a possibilité
de relation...”.
Ce premier progrès put, je pense, au même titre que pour le petit
Rémi et pour Antoine, participer (ou peut-être certainement énoncer
un progrès dans ce sens) au travail entrepris par l’équipe éducative autour de
son accompagnement quotidien à la socialisation.
En effet, ce fut à cette période que je constatai une
évolution de Benoît dans la relation
avec les autres enfants...
Cette ouverture relationnelle fut à l’origine d’un
changement important pour cet enfant dans l’accès à d’autres jeux, d’autres
activités, ludiques, groupales et créatives qu’il n’investissait pas du tout
jusqu’alors.
“Il est très important pour les enfants de varier les jeux
avec lesquels ils expérimente leur sensorialité et leur intelligence...” [40]
Il semblait s’être “détoxiquer”[41] de la console de jeu, pour s’ouvrir
à d’autres choses. C’est ainsi que j’observais Benoît dans des aventures
imaginaires de “faire-semblant”[42] au travers de jeu de figurines, de
voiturettes, avec d’autres enfants, sans destruction de sa part, dans l’échange
et le plaisir.
Cela était imaginable au début de l’année !
Même si, quand arrivait le fin du tour de jeu et qu’il
devait s’arrêter, même si son aventure n’était pas finie, Benoît avait encore
parfois du mal a accepter cette règle commune (souvent difficile pour les
enfants “accros” à la console), je remarquai, au fil des mois, des crises, des
refus de moins en moins forts.
Il semble bien, dans cette situation, que le cadre tenu par
l’équipe éducative, qui avait pour première fonction (devenue certainement, par
habitude routinière, la seule dans la conscience commune de l’équipe),
l’apprentissage spatio-temporel, ait aidé Benoît à expérimenter, petit à petit,
la contrainte et la frustration, et progressivement à comprendre qu’elles ne le
détruisaient pas. Benoît, aura pu se rendre compte que rien de vital en lui
n’était perdu au moment de l’arrêt du jeu, malgré le passage par des
résistances liées certainement à une angoisse d’anéantissement encore souvent
présente.
J’observais enfin un point essentiel dans la situation de
Benoît, comme de tous les autres enfants du groupe autour des temps de jeux de
console, il s’agissait de la présence d’un adulte pendant ces moments.
En effet, les éducateurs se donnaient, tant que possible,
les moyens d’être là, pendant les temps de console, pour tenir le cadre et
éviter les éventuels débordements ou conflits.
Néanmoins, je m’apercevais que cette présence avait un
intérêt beaucoup plus important que celui-ci, quoi qu’encore insoupçonné
jusqu’à cette observation...
L’adulte présent était souvent amené à échanger avec Benoît
quand il s’énervait ou tout simplement dans une évocation des jeux...
Ces échanges anodins, habituels ont sans aucun doute permis
à Benoît de pouvoir se détacher de l’image du jeu, de sortir de la fonction
hypnotique de l’image, de l’amener à pouvoir séparer, le virtuel imaginaire et
le réel...
La présence de l’autre, des autres enfants, celle de
l’adulte en contact avec lui faisaient figures de “réel” dans son jeu.
Le cadre d’utilisation de la console jumelé avec la présence
de tiers auront sûrement aider Benoît à s’éloigner d’une tendance addictive
(née de sa période de déscolarisation), à entrevoir, petit à petit, le jeu
vidéo comme un réel jeu ludique, à s’ouvrir peu à peu aux autres...
Pour cette dernière situation proposée, le jeu vidéo est une
nouvelle fois réhabilité comme “authentique jeu”, au delà de son utilisation
“pédago-éducative” de balisage temporel pensé par l’équipe éducative, le jeu
comme source de plaisir, le jeu comme élément d’accès à la symbolisation, mais
aussi peut-être, le jeu comme support “d’évacuation d’angoisse” (selon Mélanie
KLEIN) pour Benoît...
L’observation de Benoît face aux
jeux vidéo montre l’effet révélateur de “l’objet-console” en ce qui concerne
les difficultés importantes de ce petit garçon (difficultés de frustration,
difficultés relationnelles...).
Mais surtout elle apporte des éléments-clés (et pourtant
invisibles), grâce à cette démarche de regards plus poussés et d’analyse de
l’apport du jeu vidéo auprès d’un enfant qui pourtant se trouvait dans un
risque “d’addiction vidéo”[43].
La présence d’un adulte, pour principale raison de
“surveillance” s’avère, involontairement, beaucoup plus importante : aider
l’enfant à ne pas confondre le réel et le virtuel par sa présence et ses
échanges, aider l’enfant à réhabiliter le jeu vidéo ou comme un réel jeux
ludique, s’ouvrir à d’autres jeux, mais aussi à son entourage, à d’autres
enfants...
Lors de jeux vidéo ou de visionnage de films, “la
présence d’un adulte est indispensable pour consolider la compréhension,
l’introjection de l’image...”[44] - “le jeu est structurant selon
qu’on accompagne ou pas l’enfant...”[45] - “Il est important que les enfants
puissent avoir une relation avec l’éducateur ou le parent pour discuter des
images qu’ils voient...”[46]
Les
enfants parlent de leurs propres images :
une
dernière forme d’observation...
Après la présentation et l’analyse de ces 3
situations, il me semblait important, dans le cadre de ce travail
“d’exploration” de la console vidéo dans le quotidien du groupe éducatif dans
lequel j’interviens, de poser 4 questions, en lien avec l’objet d’étude, auprès
de 4 enfants (qui me semblait représentatifs de l’ensemble du groupe).
Ce questionnaire doit apporter un autre angle de vue,
après une observation personnelle, peut-être empreinte de ma propre
subjectivité.
Il a, en tous les cas sans aucun doute permis d’aller
au plus près de la pensée des enfants questionnés au sujet du thème.
QUESTIONNAIRE
:
1ère
question : Pourquoi aimes tu jouer à la console de jeux ?
Réponse
de Fabrice :
Parce que
j’aime bien les jeux de golf, de formule 1, Sonic™, parce que ça m’aide à passer mon
temps
Réponse
de Benoît :
Parce que
je m’amuse bien.
Réponse
de Antoine :
C’est bien,
j’aime bien les jeux qu’il y a et tous les jeux vidéo.
Pour faire
autre chose que jouer dehors ou aux petites voitures.
Réponse
de Driss :
Parce que
j’aime bien jouer à la console, c’est pas un jeu à s’ennuyer.
On peut réellement remarquer, dans toutes ces réponses
d’enfants, la place concrète du jeu comme vrai moment ludique, de plaisir et
d’amusement...
Les enfants parlent de la console, l’appréhendent comme un
jouet, c’est un jouet !
2ème
question :
Est ce que tu crois que les jeux vidéo t’ont appris quelque chose ?
Réponse
de Fabrice :
Oui j’ai
appris à conduire une voiture de course...
Réponse
de Benoît :
Non je
connaissais déjà tous les jeux...
Réponse
de Antoine :
Non je joue
pour m’amuser car c’est sympa. Il n’y a pas grand-chose à apprendre dans les
jeux vidéo, ce sont des jeux pour jouer.
Réponse
de Driss :
Non les
mots qui sont dans la console je les connais déjà.
On peut noter que les enfants ne s’inquiètent pas des
finalités pédagogiques de la console.
Il s’agit d’un jeu, c’est fait pour s’amuser, pour jouer,
passer le temps avec plaisir...
“Redonner au jeu l’art de jouir du temps est une
position à laquelle tout acteur de la petite enfance doit s’arrimer fortement”[47].
Les réponses des enfants et cette citation appellent à ne
pas oublier les réelles finalités du jeu : le jeu est aussi ludique...
3ème
question : Est-ce que tu penses que les jeux vidéo te coupent de la réalité, Es tu
toujours dans la réalité ?
Réponse
de Fabrice :
Je suis
toujours dans la réalité, sauf des fois avec un copain chez moi, on fait des combats du jeu de Game Boy™.
Réponse
de Benoît :
Non les
jeux vidéo c’est pour de faux.
Réponse
de Antoine :
Je suis
toujours dans la réalité, je ne me prends jamais pour un héros de jeu !
Réponse
de Driss :
Quand je
joue à la console, je sais bien que ça n’existe pas en dehors, alors quand je
joue c’est du faux.
Pas de profondes inquiétudes à avoir au sujet de la
confusion virtuel/réalité, les réponses sont claires et sans appel !
Tous répondent que “c’est pour de faux”.
Pour Serge TISSERON, “Aujourd’hui, ce ne sont pas
les enfants qui courent un risque de confusion, ce sont plutôt les adultes...”[48]
Néanmoins, le cadre et le temps défini passé à jouer sur le
groupe éducatif aura-t-il contribuer à aider les enfants à séparer virtuel et
réel ? On peut le penser.
4ème
question : Es ce que tu comprends le cadre de la console ?
Réponse
de Fabrice :
Oui, il y a
des horaires de jeu pour respecter le cadre, les tours. Parce que si il n’y
avait pas de cadre quand l’adulte
demanderait qui veut jouer à la Séga tout le monde dirait moi et on se
chamaillerait
Réponse
de Benoît :
Oui c’est
pour dire quel jour on joue parce que les autres jours c’est pas notre jour
c’est les autres qui jouent
Réponse
de Antoine :
Oui on ne
dépasse pas la ligne car sinon on se fait ferai mal aux yeux.
Le panneau
sert à partager la console entre les enfants, à respecter son temps, à être
d’accord, à respecter le temps des autres.
On a mis le
panneau pour que tout le monde puisse jouer.
Réponse
de Driss :
Oui, il y a
un cadre pour gérer son temps ne pas dépasser l’heure, pour laisser la place à
tout le monde.
Le cadre
tenu par l’équipe éducative est semble-t-il bien compris et intégrer.
“L’accessibilité
au ludisme se fait par la capacité minimale de l’enfant à ne pas confondre spatialité
et temporalité”[49].
Ce cadre
permet (avec “agréable surprise”) de remarquer une réelle démarche de réflexion
de la part des enfants interrogés autour du soucis de l’Autre, la socialisation
s’affirme. Le cadre, mais aussi le jeu sont bien des éléments structurants.
Les réponses à ce questionnaires sont apparues très
complètes, parlantes d’authenticité, parfois inattendues, surprenantes...
Néanmoins, elles viennent conforter une découverte de
mes observations : la console de jeu vidéo dans le groupe éducatif est surtout
pour les enfants un réelle jeu ludique.
Je m’aperçois que derrière le projet éducatif devenu
routinier, la quotidien est un espace où les enfants peuvent se
fabriquer,eux-mêmes et spontanément ,des réponses à leurs propres besoins :
dans ce contexte, celles du jeu...
“Image(s)
de cette étude”
Découvrir “le familier sous l’espèce de l’étonnant, revoir
ce que l’on ne voit jamais une première fois, mais que nous ne pouvons que
revoir, l’ayant toujours vu par une illusion qui est précisément constitutive
du quotidien”...
Cette citation de Maurice BLANCHOT pourrait
profondément “imager“ la progression, le cheminement de ce travail
d’observation, mon exploration de l’ordinaire quotidien du groupe d’enfants que
j’accompagne.
Tout au long de cette étude, j’ai été amené à bousculer la
certitude des évidences, découvrant des “glissements” non repérés de projets
investis passant à la routine, à l’oubli ou à la perte de sens, mais aussi et
surtout la réhabilitation d’un objet (la console de jeu vidéo) par les enfants
eux-mêmes, à l’insu de mon regard (routinier!) d’éducateur, pour leurs besoins
propres, celui du jeu et de leur plaisir...
Ce travail de recherche “au delà de l’anodin” m’aura incité
à penser, repenser, de façon plus forte, la réelle place de “l’objet-console”
pour chacune des personnes vivant le même quotidien du groupe.
Les choses pensées par les adultes auront été dépassées,
sans qu’ils ne s’en rendent compte, par les désirs singuliers des enfants...
Les projets ne sont pas, ne font pas tout !
Le quotidien est bien à l’espace de l’imprévu, du “non
attendu”, les enfants l’auront prouvé par leurs actes, leurs personnalités,
leurs adaptations personnelles au travers de la console de jeu...
Ainsi, tous ces temps observés, ces petits faits du
quotidien découverts sont pour moi “l’extraordinaire”.
Ils révèlent, annoncent, expliquent, à condition de les voir
et d’essayer de les comprendre, tant de choses sur les enfants (mais aussi sur
les adultes) , que nous cherchons parfois, en vain, dans des espaces qui nous
paraîtraient plus formalisés, de valeurs plus grandes (!)...
Enfin, ce travail m’aura amené à penser que la console est
peut-être moins dangereuse que ce que l’on peut croire (cf. ANNEXE 3), à la
principale condition que l’enfant ne soit pas toujours seul face à aux jeux
vidéo. La présence d’autres enfants et/ou d’un adulte à ses côtés, mais aussi
l’importance d’un échange relationnel autour des jeux, semblent réellement
permettre à l’enfant d’appréhender cet objet technologique, aux zones d’ombre
encore pourtant nombreuses, comme un réel jeu de loisir, un jeu de plaisir...
Une observation régulière peut permettre de régler des
tendances à risque.
Mais surtout, une observation régulière invite sans aucun
doute à voir évoluer les enfants...
CONCLUSION
La console de jeu vidéo auprès d’enfants en difficulté
pourrait être accusée de tous les maux...
Et pourtant, tout au long de cette démarche de regard
attentif et curieux, de distance et de réflexion, j’aurai pu constater des
bénéfices insoupçonnés, réellement inattendus et non maîtrisés par les adultes,
par moi, pour les enfants que j’accompagne quotidiennement...
Sans ce travail au cœur de cet espace “clair-obscur” qu’est
le quotidien, “l’objet-console” serait certainement rester dans sa fonction de
surface, celle même, peut-être, d’un prétexte inconscient pour l’équipe de
l’utiliser.
“Tout est intéressant, à condition qu’on le regarde assez
longtemps” écrivait
Gustave FLAUBERT au XIXème siècle, l’observation de “la console de jeu
vidéo” et des choses qui se seront passées autour d’elle l’auront profondément
été pour moi !
Ce travail, ma découverte d’adaptations personnelles des
enfants en lien avec leurs propres besoins, leurs propres désirs, à l’insu
involontaire des adultes, m’aura amené à réaliser que le quotidien englobe tout
le monde, mais que chacun vit sa vie dans le quotidien...
En aucun cas, l’objet de cette étude aura été de justifier
ou de critiquer l’utilisation de la console de jeu dans le groupe éducatif.
Ce travail aura eu pour but d’explorer un objet, des temps,
des tranches de vie dans le quotidien des enfants, dans mon quotidien
professionnel avec eux...
Cette recherche riche de découvertes “impensées” m’aura
amener à comprendre le sentiment d’humilité que l’éducateur, moi, devons garder
en permanence dans le remise en cause des évidences de notre travail...
A l’issu de cette expérience forte, je suis amené à penser que
l’exploration du quotidien auprès de personnes en difficulté - savoir s’y
arrêter, le regarder, l’écouter, le réfléchir... - tout cela pourrait être pour
l’éducateur spécialisé en quête d’identité et d’un discours professionnel
spécifique à son intervention particulière, une des approches, un cadre de
référence propre à son travail d’accompagnement de sujets dans la vie
ordinaire...
BIBLIOGRAPHIE
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WINNICOTT - “ Jeu et Réalités” - Gallimard Paris 1975
[1] Définition du dictionnaire “Petit Larousse”
[2] Guy de MAUPASSANT - “La Petite Roque Mademoiselle Perle” - Recueil 1886
[3] Georges PEREC - “L’infra-ordinaire” - La Librairie du XXème siècle - Seuil Paris1989
[4] Maurice BLANCHOT - “L’entretien infini” - Gallimard Paris 1969
[5] Joseph ROUZEL - “Le travail d’éducateur spécialisé” - Dunod Paris 2000
[6] Georges PEREC - “les Choses” - Julliard Paris 1965
[7] Francis PONGE - “Le parti pris des choses” - Gallimard 1942 - Poésie Gallimard Paris 1997
[8] Georges PEREC - “L’infra-ordinaire” - La Librairie du XXème siècle - Seuil 1989
[9] Joseph ROUZEL - “Le travail d’éducateur spécialisé” - Dunod Paris 2000
[10] Joseph ROUZEL - “Le travail d’éducateur spécialisé” - Dunod Paris 2000
[11] Georges PEREC - “L’infra-ordinaire” - La Librairie du XXème siècle - Seuil 1989
[12] Jacques HENNO - “Les jeux vidéo, idées reçues” - Le Cavalier Bleu Paris 2002
[13] “L’enfant et les mondes virtuels” - La Lettre du GRAPE n°22 - Éditions Erès 1996
[14] D. W. WINNICOTT - “ Jeu et Réalités” - Gallimard Paris 1975
[15] Il est intéressant de d’observer qu’au niveau étymologique, le mot “console” vient de “consoler” - Dans ce contexte, pourrait-on imaginer : consoler l’enfant “souffrant” ?
[16] “Les faire semblant, jeu et identité” - La lettre du GRAPE n° 40 - Erès Juin 2000
[17] Jacques HENNO - “Les jeux vidéo, idées reçues” - Le Cavalier Bleu Paris 2002
[18] Jacques HENNO - “Les jeux vidéo, idées reçues” - Le Cavalier Bleu Paris 2002
[19] Serge TISSERONDE - Article “Jeux vidéo, la triple rupture” - Carnets Psy 2002
[20] D. W. WINNICOTT - “Jeu et Réalités” - Gallimard Paris 1975
[21] En référence à la théorie de la “mère suffisamment bonne” de D. W. WINNICOTT
[22] Marcel MAUSS, "Essai sur le don, Forme et Raison de l'échange dans les sociétés archaïques" - Réédition in : Mauss, Sociologie et Anthropologie, P.U.F., 1950
[23] BROUGERE et ANNO - “Le jouet, valeurs et paradoxes d’un petit objet secret” - Éditions AUTREMENT - Paris 1992
[24] Paul FUSTIER - “Les corridors du quotidien” - Presses Universitaires de Lyon 1993
[25] Emmanuelle RIGON - “Le désordre” - Bayard Éditions Paris 1999
[26] Emmanuelle RIGON - “Le désordre” - Bayard Éditions Paris 1999
[27] D. W. WINNICOTT - “Jeu et Réalités” - Gallimard Paris 1975
[28] Serge TISSERONDE - Article “Jeux vidéo, la triple rupture” - Carnets Psy 2002
[29] Jean PIAGET - “La formation du symbole chez l’enfant” - Delachaux et Niestlé, Éditeurs - Neuchâtel Paris 1945, 1976
[30] “Les faire semblant, jeu et identité” - La lettre du GRAPE n° 40 - Erès Juin 2000
[31] D. W. WINNICOTT - “ Jeu et Réalités” - Gallimard Paris 1975
[32] Emmanuelle RIGON - “Le désordre” - Bayard Éditions Paris 1999
[33] Françoise DOLTO - “Les étapes majeurs de l’enfance” - Articles et conférences - GALLIMARD - Paris 1994
[34] “Les faire semblant, jeu et identité” - La lettre du GRAPE n° 40 - Erès Juin 2000
[35] D. W. WINNICOTT - “ Jeu et Réalités” - Gallimard Paris 1975
[36] D. MARCELLI “Psychopathologie du jeu” dans l’ouvrage “Psychopathologie de l’enfant” - Masson - Paris 1993
[37] D. W. WINNICOTT - “ Jeu et Réalités” - Gallimard Paris 1975
[38] Joseph ROUZEL - “Le travail d’éducateur spécialisé” - Dunod Paris 2000
[39] Françoise DOLTO - “Les étapes majeurs de l’enfance” - Articles et conférences - GALLIMARD - Paris 1994
[40] Françoise DOLTO - “Les étapes majeurs de l’enfance” - Articles et conférences - GALLIMARD - Paris 1994
[41] Terme utilisé par Serge TISSERONDE dans une interview pour “Le Lien Social” n°576 - janvier 2001 “Écran, jeunes et émotions”- pour évoquer une sorte de désintoxication de l’écran pour des jeunes “accros”.
[42] le “faire-semblant” est une étape essentielle du jeu, indispensable pour la structuration de l’enfant - “Les faire semblant, jeu et identité” - La lettre du GRAPE n° 40 - Erès Juin 2000
[43] Serge TISSERONDE - Article “Jeux vidéo, la triple rupture” - Carnets Psy 2002
[44] “Les faire semblant, jeu et identité” - La lettre du GRAPE n° 40 - Erès Juin 2000
[45] Emmanuelle RIGON - “Le désordre” - Bayard Éditions Paris 1999
[46] Serge TISSERONDE dans une interview pour “Le Lien Social” n°576 - janvier 2001 “Écran, jeunes et émotions”
[47] “Les faire semblant, jeu et identité” - La lettre du GRAPE n° 40 - Erès Juin 2000
[48] Serge TISSERONDE - Article “Jeux vidéo, la triple rupture” - Carnets Psy 2002
[49] “L’enfant et les mondes virtuels” - La Lettre du GRAPE n°22 - Éditions Erès 1996